Certains écrits vous touchent par leur beauté et leur profondeur.
J’aimerais partager avec vous l’un de ces textes qui a eu et conserve sur moi un tel effet.
Ses mots tissent un lien entre mes âges, parlant sur un plan sensible à l’enfant, à l’adulte et à la vieille âme en moi.
Quand j'étais petite, je rêvais de créer des objets uniques auxquels j'attribuais un pouvoir magique. Celui de transformer le regard de celles et ceux qui les contemplent ou les possèdent, en rendant leur relation au monde plus enchantée.
Bien des années plus tard, je les ai appelés "objets de perception". Avec mes mots d’adulte, je les décrirais comme des médiateurs subtils qui révèlent ce que nos sens non affinés ne peuvent capter. Ils amplifient, complètent ou font apparaître l'invisible, ouvrant discrètement notre expérience sensible à des dimensions plus vastes et plus profondes.
Éloge de l’Ombre de Jun'ichirō Tanizaki, qui célèbre la beauté subtile et mystique de l'ombre dans la culture japonaise, pourrait être un tel objet.
En architecture, l’atmosphère d’un espace se compose des impressions et des sensations suscitées par des éléments tels que la lumière, les matériaux, la couleur et les textures qui façonnent notre expérience émotionnelle. Tanizaki nous immerge dans les subtiles variations sensorielles créées par les jeux d'ombre et de lumière, les matériaux naturels et la patine du temps, qui confèrent aux objets et aux espaces une profondeur et une atmosphère intime. Notre perception de l’obscurité s’en trouve profondément bouleversée.
ce que l’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie [...]
nos ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l’ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l’ombre en vue d’obtenir des effets esthétiques. [1]
Mes études doctorales spécialisées en neurosciences cognitives m’ont permis d’explorer l’infiniment petit, l’invisible à l’œil nu, les mystères de la biologie cérébrale [Voir l’invisible: les dessous des rythmes du cerveau], Éloge de l’ombre m’a ouverte à l’infinité des possibilités sensorielles et esthétiques qui nous entourent.
Et maintenant, si cela vous dit, fermez les yeux quelques instants et laissez-vous porter :
Après cela, est-il encore possible de boire un bouillon ou une tasse de thé avec indifférence?
[1] Tanizaki, J. (2011). Éloge de l’ombre (R. Sieffert, Trad.). Verdier.
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